Hommage du CIFORDOM à Marcel Dorigny
Auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris
Vendredi 4 février 2022
Nous avons de très nombreuses raisons d’avoir co-organisé et de participer ous sommes réunis aujourd’hui afin de rendre hommage à Marcel Dorigny.
à cet hommage.
Marcel Dorigny est un ami. Je le connais depuis quarante ans. Mais c’est aussi un ami du CIFORDOM et un spécialiste de l’histoire de la traite et de l’esclavage. Il est un précurseur dans ce domaine qu’il a abordé par Haïti. C’est d’ailleurs à cause de son attachement à la date du 4 février que l’hommage lui est rendu aujourd’hui.
Le 4 février 1794 est la date de la première abolition de l’esclavage en France par la Convention nationale (16 pluviôse an II). Cet événement historique, imposé par la révolte des esclaves de Saint-Domingue, est généralement occulté.
Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), l’assemblée de la Convention vote l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
Quand, au début de la Révolution, la célèbre Nuit du 4 août met fin aux privilèges féodaux, seul le duc de La Rochefoucauld-Liancourt envisage d’étendre aux esclaves le principe d’égalité devant la loi. Les représentants des colonies menacent de se séparer de la métropole si l’on abroge l’esclavage et, le 28 mars 1792, l’Assemblée législative se contente d’établir une égalité de droit entre tous les hommes libres (à l’exception des esclaves). Ces demi-mesures et ces dissensions ne satisfont guère les esclaves.
En Guadeloupe, une révolte aussi brève que violente éclate dans la nuit du 20 avril 1793. Plusieurs Blancs sont massacrés.
À Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti), la principale et la plus riche de toutes les colonies françaises, affranchis et esclaves se soulèvent à leur tour et les commissaires de la République se résignent le 4 septembre 1793 à proclamer la liberté des esclaves.
Le décret de Pluviôse, voté dans l’enthousiasme, généralise ces décisions. Il énonce : « La Convention déclare l’esclavage des nègres aboli dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution ».
Le décret ne sera en définitive appliqué qu’en Guadeloupe et en Guyane avant d’être abrogé par le Premier Consul en 1802.
J’ai envie de le laisser parler Marcel Dorigny sur ce qui était à l’origine de ses recherches et de son engagement.
Dans un entretien avec Anna Musso publié par le journal L’Humanité le 4 février 2010, Marcel Dorigny explique les conditions du développement de Haïti et les raisons de la pauvreté actuelle de première République Noire.
Que nous dit Marcel Dorigny ?
MARCEL DORIGNY
Pour comprendre les origines de la misère à Haïti, il faut revenir aux origines de son indépendance. À la fin du XVIIIe siècle, Haïti était l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, la plus riche et la plus prospère, au moment de la Révolution française. La Saint-Domingue française concentrait le nombre le plus important d’esclaves de toute l’Amérique ! Elle possédait une main-d’œuvre composée de 550 000 esclaves – ce qui est démesuré pour cette petite île.
Dans les dix années précédant la Révolution française, quand la traite négrière a atteint son apogée, 40 000 esclaves débarquaient chaque année sur l’île. Ainsi environ un esclave sur deux qui quittait les côtes d’Afrique était vendu à SaintDomingue.
Cette main-d’œuvre servile produisait essentiellement du sucre. De ce fait, cette colonie était le premier producteur mondial et la France en tirait évidemment des bénéfices substantiels en exportant cette denrée à travers toute l’Europe. Mais, à entasser autant de personnes pour « travailler » dans des conditions aussi effroyables – l’espérance de vie d’un esclave était au plus de quinze ans sur les exploitations –, cette « machine » à produire du sucre a généré tout le contraire de ce que les colons espéraient : la révolution des esclaves. Le point de départ d’Haïti, c’est donc l’insurrection générale des esclaves.
Pour Marcel Dorigny c’est de la révolution des esclaves que date la naissance de Haïti.
MARCEL DORIGNY
On ne peut séparer cette révolution de la Révolution française. Sans 1789, il est probable que ce soulèvement des esclaves n’aurait jamais été victorieux, car la Révolution française a déstabilisé la société coloniale. Puis les idéaux de la Révolution, portés à leur paroxysme – puisqu’il n’avait jamais été question d’abolir l’esclavage – ont favorisé l’abolition de l’esclavage par les esclaves eux-mêmes, les armes à la main. Cette situation est unique au monde. Les autres formes de suppression de l’esclavage ont été accordées, en quelque sorte, par les grandes puissances, certes de façon plus ou moins forcée par les situations géopolitiques et sociales dans leurs colonies et la diffusion des idéaux abolitionnistes dans les métropoles. Or, Haïti est né d’une première guerre des esclaves, puis d’une seconde, la même en quelque sorte, lorsqu’en 1802 Napoléon a voulu rétablir l’esclavage dans les colonies. Plus de 40 000 soldats ont alors été envoyés à SaintDomingue pour rétablir l’esclavage mais, vaincus, ils ont été obligés de capituler après la défaite de Vertières, le 18 novembre 1803.
L’armée napoléonienne est vaincue par les esclaves de Haïti.
C’est ainsi que la République d’Haïti est née, le 1er janvier 1804, dans le contexte de la révolte des esclaves, pour l’abolition de l’esclavage par les esclaves eux-mêmes, d’une guerre de libération contre les troupes napoléoniennes. Cette indépendance acquise par les armes n’a été reconnue par la France qu’en 1825, sous la condition du paiement d’une indemnisation des colons français qui avaient perdu leurs propriétés. Ainsi, l’existence d’Haïti relève de conditions historiques particulières, dont les conséquences perdurent jusqu’à nos jours.
La France n’admet pas cette indépendance acquise de hautes luttes et exige une indemnisation.
MARCEL DORIGNY
La dette de 1825 a contraint Haïti à mettre le doigt dans l’engrenage de l’endettement international. En 1804, lorsque Haïti se proclame indépendant, personne ne reconnaît cette indépendance. De ce fait, en 1818, le président haïtien Alexandre Pétion propose lui-même d’indemniser les colons en échange de la renonciation définitive à l’île par la France !
En avril 1825, le roi de France, Charles X, décide de signer une charte de reconnaissance de l’indépendance d’Haïti. Enfin, plus exactement de la partie française de Saint-Domingue car le mot Haïti n’est pas écrit ; et en contrepartie, il exige le paiement d’une indemnité de 150 millions de francs or, une somme colossale. Craignant un débarquement militaire, le nouveau président d’Haïti, Jean-Pierre Boyer, accepte… Alors que, à l’époque – les Haïtiens n’en avaient pas conscience –, il aurait été impossible pour la France de recoloniser militairement l’île, elle n’avait ni les moyens, ni le soutien international pour le faire ! Ainsi, Haïti signe la charte de Charles X. C’était une somme démesurée que le pays devait payer en cinq ans, soit 30 millions par an. La première annuité a été payée dans les temps grâce à un emprunt international, mais ensuite Haïti n’a plus pu s’acquitter de sa dette.
Haïti paie la première échéance de 30 millions de francs or et le gouvernement de Louis-Philippe négocie un traité financier avec le gouvernement de Haïti.
MARCEL DORIGNY
En 1838, le gouvernement de Louis-Philippe a négocié avec Haïti deux traités séparés. Le premier reconnaissait l’indépendance d’Haïti, sans aucune condition ; le second était financier, et ramenait la dette à 90 millions de francs or payables sur trente ans. Donc tout aurait dû être réglé en 1868, mais, en fait, Haïti ne pouvait pas débourser une telle somme sur cette durée. Le pays a continué de payer la France en étant obligé d’emprunter, avec des intérêts, bien sûr, aux banques, dont la majorité étaient françaises ! C’est le serpent qui se mord la queue. Donc, la dette a perduré jusqu’en 1883, mais restait alors à régler les emprunts souscrits auprès des banques pour payer la France ; en 1915, quand les Américains ont débarqué à Haïti, le pays payait encore et toujours une dette extérieure.
La dette générée par cette indemnisation et versée à la France explique la situation actuelle de Haïti.
MARCEL DORIGNY
Quand Haïti devient indépendant en 1804, une structure étatique s’était déjà mise en place. Elle était aux mains d’une nouvelle bourgeoisie, constituée d’anciens libres de couleur, eux-mêmes propriétaires d’esclaves ayant basculé du côté de l’abolition, et de chefs militaires, officiers et généraux noirs, qui avaient joué un rôle déterminant dans la guerre d’indépendance. Or, le drame d’Haïti découle sûrement de cet éclatement de la société en deux. Puisque d’un côté, il y a la nouvelle classe dirigeante qui se partage le pouvoir, les richesses, les propriétés et continue de développer ses activités vers l’extérieur selon le schéma colonial qui avait fait la richesse de l’île. Son gouvernement ne fait que prolonger celui de la colonisation, même s’il est entre les mains d’anciens dominés. Et, d’un autre côté, il y a la masse des anciens esclaves et leurs descendants, ceux que l’on va appeler, dans le vocabulaire postcolonial, soit les « cultivateurs », soit les « Africains », ce qui est assez révélateur.
La structure de la société post-esclavagiste reste identique à celle de la société esclavagiste.
MARCEL DORIGNY
Cette masse de la population va être obligée de travailler dans des conditions misérables dans les campagnes jusqu’à la fin du XXe siècle. C’est le phénomène que l’on appelle, pour reprendre le titre d’un important livre de Gérard Barthélemy, Le Pays en dehors. Une formule qui désigne la masse rurale pauvre, n’ayant pas accès à l’école, à l’alphabétisation, à la société urbaine, qui est celle de Port-auPrince. Il y a d’un côté la « République de Port-au-Prince », de l’autre, « le pays en dehors », ceux qui sont à l’intérieur des terres, mais à l’extérieur de leur propre nation. Ces anciens esclaves refusent, dès le départ, de travailler contre salaire sur les plantations, où ils étaient esclaves précédemment… Or l’objectif des nouveaux dirigeants est de continuer la production sucrière pour l’exporter vers l’Europe et les grandes puissances ! C’est ainsi que démarre alors un processus essentiel pour comprendre Haïti : les anciens esclaves n’appliquent pas la loi qui les oblige à travailler et désertent les plantations pour aller s’installer dans les montagnes où ils défrichent les terres et créent une agriculture paysanne. Haïti est la seule société des Antilles où s’est constituée une véritable paysannerie.
Les anciens esclaves d’Haïti parce que leur condition n’a pas changé créent une agriculture d’autosubsistance.
MARCEL DORIGNY
L’esclave haïtien, devenu paysan, s’installe avec sa famille sur une terre et la cultive pour subvenir à ses propres besoins. L’abolition de l’esclavage et de la colonie est synonyme pour cette masse rurale d’indépendance économique, d’autosubsistance. Les paysans ne produisent plus pour le marché, ou le moins possible. Ce système agraire unique a permis à la population de vivre pendant au moins un siècle et demi. Mais une croissance démographique extrême a engendré une surpopulation rurale telle que les paysans, devenus misérables avec leurs minuscules lopins de terre, ont dû fuir vers les villes. Or, l’infrastructure n’était pas pensée pour accueillir autant de personnes. Ils ont donc été obligés, pour une grande partie d’entre eux, de s’entasser dans des bidonvilles, et, pour d’autres, d’émigrer vers l’étranger. Le drame d’Haïti, c’est cette fracture dans la société entre une masse rurale misérable, à 80 % analphabète aujourd’hui, qui vit en dehors de la société, n’a pas accès à l’eau, aux soins, à l’école… et son élite dirigeante, branchée sur les grands réseaux mondiaux, qui a un pied aux ÉtatsUnis, au Canada, en France…
Cette dichotomie entre l’élite et la masse rurale a eu des conséquences sur la situation politique du pays.
MARCEL DORIGNY
La conséquence majeure c’est que, en Haïti, l’État n’existe quasiment pas. Certes, il y a un gouvernement, il y a même eu des gouvernements dictatoriaux et corrompus, au XIXe comme au XXe siècle, sous les Duvalier, puis Aristide, mais il n’y a toujours pas d’État : à savoir un État qui assure son rôle dans les domaines des infrastructures routières, des télécommunications, de l’assainissement, de l’électrification, et bien entendu des services publics pour la santé, l’école…
Doit-on compter sur le retour de la diaspora pour (re)construire l’État et le pays ?
MARCEL DORIGNY
En effet, on peut regretter la fuite des cerveaux. Une bonne partie des Haïtiens formés sont partis sous les Duvalier et sous le régime d’Aristide exercer leurs talents ailleurs, en raison d’insécurité quotidienne, de répression politique, mais aussi de mauvaises conditions de vie. Et quand on est parti, le retour est très difficile. Mais le problème est d’autant plus complexe que la diaspora est très utile à Haïti, car elle envoie beaucoup d’argent à la famille restée sur place. Ces capitaux envoyés par la diaspora représentent deux fois l’aide internationale, c’est énorme. On peut toujours inciter cette diaspora à revenir, mais on ne peut la contraindre ! Lors de la chute des Duvalier, en 1986, certains Haïtiens avaient choisi de rentrer pour contribuer à la reconstruction du pays, puis des troubles ont suivi et finalement la dérive du régime d’Aristide les a découragés. Alors la diaspora ne rentrera massivement que si les conditions s’améliorent vraiment, se stabilisent, et si elle peut bénéficier d’un bon cadre de vie. Mais, actuellement, la tendance est inverse : ceux qui le peuvent quittent Haïti. L’idéal serait que ceux qui sont partis reviennent construire leur pays, mais peut-on se mettre à leur place ? Il paraît plus crédible aujourd’hui de compter sur les 10 millions d’habitants présents – dont certains sont tout de même enseignants, médecins, ingénieurs – et sur l’aide internationale pour reconstruire l’État et le pays.
L’annulation de la dette d’Haïti, qui s’élève à plus de 1 milliard d’euros, ne fait-elle pas partie des solutions pour aider à sortir le pays de l’impasse ?
MARCEL DORIGNY
C’est une question complexe. Haïti a toujours payé sa dette, c’est un pays solvable, ce qui lui permet de trouver des prêteurs, que ce soient des États ou des institutions internationales. Donc l’annulation de la dette pose un gros problème à moyen terme : un État dont la dette est annulée se voit considéré comme un État non solvable, or Haïti a besoin de beaucoup de capitaux pour se reconstruire. De plus, une partie de l’aide internationale s’effectuera sous forme de crédit ; donc, si on annule la dette d’Haïti, il lui sera très difficile de souscrire de nouveaux emprunts. Le premier ministre haïtien a d’ailleurs dit lors de la conférence de Montréal, le 25 janvier 2010, que l’annulation de la dette était certes utile mais qu’elle ne constituait pas la solution la plus favorable pour Haïti à long terme. Certes, cette solution paraît simple, mais il ne faut pas oublier qu’ensuite les bailleurs de fonds (États, grandes institutions internationales ou banques) hésiteront beaucoup à prêter.
Vous avez compris pourquoi j’ai tenu à reprendre cet entretien qui nous montre l’érudition de Marcel Dorigny, en même temps qu’une grande clarté et une grande simplicité dans l’expression. Tout cela porté par une grande sensibilité et un souci permanent de démontrer comment le passé est déterminant pour le présent. D’une générosité indéfectible, Marcel Dorigny n’était pas seulement un excellent chercheur. Pour beaucoup d’entre nous il était un infatigable passeur.
Cet entretien répond en tous points à tous les zélateurs de la soi-disant woke culture et cancel culture. L’Histoire de Haïti est partie intégrante de l’histoire de France. Elle a été longtemps exclue des livres d’histoire. C’est le colonisateur qui a nié l’histoire et non ceux qui l’ont faite.
Les dominés dans cette histoire ont pris la place et les comportements des dominés. L’explication est sûrement chez Frantz Fanon.
De plus, voilà un pays qui se libère des fers de l’esclave par les armes et à qui on impose d’indemniser ses bourreaux. J’ai le sentiment que la cancel culture est plutôt de ce côté-là.
Je peux compléter cette analyse par le communiqué que Marcel Dorigny a publié le 29 mai 2020 intitulé : Détruire les statues de Victor Schœlcher ? Un militantisme de l’ignorance ?
Le 22 mai dernier des « militant(e)s » ont détruit avec force publicité deux statues de Victor Schœlcher en Martinique, celle dressée devant l’ancien Palais de Justice, à deux pas de la célèbre Bibliothèque Schœlcher, l’autre à Case Navire, sur la commune de Schœlcher. Cette action a été hautement revendiquée par un groupe d’activistes qui ont voulu dénoncer le maintien du « statut colonial » de l’île, le poids écrasant des békés sur l’économie et la société insulaire … Une question se pose : que vient faire Schœlcher dans ce débat contemporain ? A suivre les discours de justification de ces actes violents, « le mythe de Schœlcher » serait un instrument du néocolonialisme subit aujourd’hui ; ce serait Victor Schœlcher qui aurait inséré dans le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848 la clause prévoyant l’indemnisation des propriétaires d’esclaves … Or, et ici l’histoire ne peut être travestie, dit Marcel Dorigny, l’indemnisation des maîtres a été décrétée en avril 1849, soit après le tournant conservateur radical de la Seconde République consécutif à la violente répression du mouvement ouvrier en juin 1848, à Paris et dans les centres industriels des départements, et aboutissant tout naturellement à l’élection d’une assemblée législative ultra conservatrice, qui conduira à l’arrivée de Louis Napoléon au pouvoir, avant de se proclamer « empereur des Français » sous le nom de Napoléon III … A ce moment Schœlcher n’était plus au gouvernement, resté ferme républicain il sera un opposant absolu à l’empereur, aux côtés de Victor Hugo, notamment. Il est donc totalement erroné de transformer l’abolitionniste Schœlcher en « père de l’indemnité » en faveur des maîtres, ancêtres des békés d’aujourd’hui. Mais, pour éclairer le public d’aujourd’hui, rappelons que l’indemnisation des propriétaires d’esclaves a été pratiquée dans toutes les procédures d’abolition, à deux exceptions près : l’abolition révolutionnaire française de 1794 n’a donné lieu à aucune indemnité et celle de 1865 dans les États du Sud des États-Unis, l’abolition étant le résultat de la défaite militaire des Confédérés, considérés comme responsables de la guerre civile. S’il est aujourd’hui incongru de dresser un portrait idyllique de Victor Schœlcher, l’historien doit tout de même rappeler la hardiesse de ses prises de positions sur plusieurs points importants et qui en firent un personnage à part dans l’élite sociale et intellectuelle de son temps ajoute Marcel Dorigny.
Né, à Paris, le 18 juillet 1948, Marcel Dorigny grandit à la campagne, en Seine-etOise (aujourd’hui Yvelines), et poursuit sa scolarité, collège et lycée, à Rambouillet. Après le baccalauréat, il s’inscrit en faculté d’histoire à la Sorbonne et suit l’enseignement d’Albert Soboul (1914-1982), titulaire de la chaire Histoire de la Révolution française. La rencontre s’avère décisive. S’il enseigne, professeur certifié, dans le secondaire à Évry dans l’Essonne, Marcel Dorigny n’entend pas choisir entre sa vocation pédagogique – il se consacrera avec une énergie inentamée à enseigner, tant dans le secondaire que, plus tard, dans le supérieur, maître de conférences à l’université Paris-VIII – et son goût pour la recherche.
Disparu brutalement Marcel Dorigny n’a cessé d’œuvrer pour la prise de conscience de l’impact de l’esclavage colonial et des abolitions dans l’histoire de la modernité occidentale.
Le premier mot qui vient à l’esprit quand on parle de Marcel Dorigny est la modestie. Pourtant dans son domaine il était un immense spécialiste.
Marcel Dorigny enseignait au département d’histoire de l’Université Paris 8. Ses recherches portaient sur les courants du libéralisme français au XVIIIème siècle et dans la Révolution française, principalement dans les domaines coloniaux : la place de l’esclavage dans les doctrines libérales du XVIIIème siècle, les courants esclavagistes et abolitionnistes, les processus d’abolition de l’esclavage
Il fut Secrétaire général de la société des études robespierristes de 1999 à 2005, directeur de la revue Dix-huitième siècle ; membre du Comité des travaux historiques et scientifiques du ministère de la recherche ; membre du comité de réflexion et de proposition pour les relations franco-haïtiennes, membre du Comité pour la mémoire de l’esclavage et président de l’Association pour l’étude de la colonisation européenne.
Marcel Dorigny était aussi un pilier essentiel du CIFORDOM. Il apportait une expertise précise, un regard éclairé au comité de lecture du Prix Littéraire FETKANN ! Maryse Condé en faveur du travail et du devoir de mémoire remis chaque année en novembre au café de Flore.
ll est bon de rappeler, comme Marcel Dorigny, que « dès son arrivée sur les plantations l’esclave devait changer d’identité. Baptisé, il devait rompre avec sa religion. Doté d’un nouveau nom, il devait oublier le sien, ainsi que sa langue. Enfin, musiques et danses d’Afriques lui étaient interdits, étant considérés comme susceptibles voire prétextes à complots. ».
Pour Marcel Dorigny : « la destruction de l’esclavage colonial a fait place à des sociétés nouvelles qui ont cherché une voie inédite de développement postesclavagiste où les principes de liberté et d’égalité ont été « aménagés » pour maintenir les schémas fondamentaux mis en place depuis plusieurs siècles : la production et l’exportation des fameuses « denrées coloniales », chères à l’Europe ».
Dans les ouvrages de Marcel Dorigny, les aspects culturels et religieux sont mis en valeur. Son ouvrage Arts et Lettres contre l’esclavage (Cercle d’Art, 2018) apporte un éclairage nouveau sur le rôle des œuvres d’art et de la littérature du 18ème siècle dans la diffusion de la connaissance des conditions des esclaves et leur impact sur l’abolition. « Les artistes ont joué un rôle non négligeable dans le combat abolitionniste. Aux côtés des écrivains, ils ont dénoncé les pratiques esclavagistes avec une efficacité démultipliée, les images ayant eu un impact populaire plus percutant que les seuls textes, à des époques où la lecture était loin d’être acquise à tous. »Le Grand Atlas des empires coloniaux auquel il avait participé est un monument de cartographie et d’infographie.
A Marcel Dorigny dont la dernière manifestation publique a été la participation à l’inauguration de la Promenade Édouard Glissant à Paris le 21 septembre nous dédions ces deux premiers vers du poème d’Édouard Glissant tiré du Traité du Tout-Monde (Poétique IV, NRF, Gallimard, août 1997, page 139).
« La terre matrice des pays antillais, Haïti.
« Qui n’en finit pas d’acquitter l’audace qu’elle eut de concevoir et de faire lever la première nation nègre du monde de la colonisation. »
José Pentoscrope
Président du CIFORDOM
Initiateur du Prix Littéraire FETKANN ! Maryse Condé
Fichier PDF :
HOMMAGE A MARCEL DORIGNY 4 FEVRIER 30 janvier 2022.pdf
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