Théophile Obenga (adjoint Cheik Anta Diop) et José Pentoscrope

Théophile Obenga (adjoint Cheik Anta Diop) et José Pentoscrope

Festival Mondial Des Arts Negres

 Communication de José PENTOSCROPE, économiste, initiateur du Prix Littéraire FETKANN! « Mémoire des Pays du Sud, Mémoire de l’Humanité » et président du Centre d’Information, Formation, Recherche et Développement pour les originaires d’outre-mer (CIFORDOM)

Résister ne suffit pas

Introduction
Permanence de la résistance. Séduisant énoncé, à la beauté presque
poétique. Mais la beauté des mots ne doit pas faire écran à l’analyse.
Si la permanence de la résistance est séduisante au plan métaphysique
car elle indique un refus fondateur, elle est historiquement plus
inquiétante. Car qui dit permanence de la résistance dit d’abord
permanence de l’oppression. Etre en situation de résistance face aux
oppressions c’est bien mais en sortir victorieux c’est mieux. Je
réclame plus que le droit à la résistance, le droit à la victoire.
Cette affirmation vient de tout mon être : on ne pense pas qu’avec son
cerveau mais aussi avec son corps qui garde la mémoire enfouie de
toute notre histoire. C’est en antillais, issu de ce que Glissant appelle
l’expérience du gouffre, la traite négrière que je m’exprime. C’est en
homme de la diaspora que je me présente devant vous. Et puisqu’il est question de résistance, qu’il me soit permis en premier lieu de rappeler que la notion même de diaspora évoque la résistance. Puisqu’il s’agit de la capacité de renouer les fils rompus par l’histoire, la déportation
et les migrations. Vivre en diaspora c’est penser que le destin du
continent se joue ici, sur votre sol, mais aussi ailleurs, dans les
banlieues d’Europe où nos enfants ont à inventer un avenir débarrassé
du fardeau du passé, aux Etats Unis où pour la première fois un enfant
d’Afrique préside aux destinées du pays, aux Antilles, où sans cesse la
question de la lutte contre l’injustice est remise sur le devant de la
scène comme en témoigne la lutte du LKP de l’an passé. Vivre en
diaspora, c’est redonner sens et vie à l’idéal panafricain. Vu du
continent peut être que les divisions l’emportent, mais vu de
l’immigration c’est l’unité qui prime.

L’un des enjeux majeurs de l’Afrique concerne justement ses liens
avec la diaspora. Il s’agit de construire une Afrique capable
d’accueillir et d’élaborer des stratégies de développement avec sa
diaspora. Nos enfants, où qu’ils vivent doivent contribuer à l’effort du
continent. Son avenir est leur avenir. Mais l’inverse est également
vrai; leur avenir est votre avenir. Leur devenir et celui du continent
sont liés indéfectiblement. Ce qui veut dire que les ponts ne doivent
pas être coupés; ce qui implique que l’implication économique,
sociale, politique des migrants et de leurs descendants est une chance
pour l’Afrique. Le comprendre c’est se donner la possibilité que notre
résistance soit victorieuse.

DIFFÉRENTES FORMES D’OPPRESSIONS À L’ENCONTRE DES PEUPLES NOIRS

L’Afrique est souvent qualifiée de continent de tous les maux :
colonisation, esclavage, traites négrières, sécheresse, famine, (épidémie), fréquentes guerres civiles, instabilité politique, retard du développement économique, etc. On aime parler de malédiction
africaine. Comme si la source des maux du continent avait quelque
chose de surnaturel. Comme si surtout ces maux étaient indépassables.
L’expression sert à masquer les mécanismes politiques qui sont la
cause de la situation actuelle. Aucun esprit rigoureux et j’ose le dire
aucun honnête homme ne saurait souscrire à une telle logique. Il
n’existe pas de fatalité. Pas d’ordre immuable des choses. Pas de
permanence qui ne soit amendable.

Depuis ces tout derniers siècles, différentes formes d’oppressions sont
apparues à l’encontre des peuples noirs. Dans la première moitié du
XIXème siècle, le continent africain était quasiment inconnu de
l’Occident. La colonisation du continent se limitait alors aux franges
côtières et à l’embouchure des grands fleuves où les puissances
coloniales avaient mise en place un réseau de comptoirs pour
l’exploitation des ressources naturelles et le commerce lucratifs des
esclaves. L’esclavage et la traite transatlantique, l’occupation, le
partage de l’Afrique et la lapidation de ses ressources naturelles au
profit du capitalisme occidental, sont autant d’agressions qui ont
fragilisés les conditions d’existence des peuples noirs. Des difficultés
climatiques ont aggravé et aggravent encore leurs désœuvrements.

LA RACIALISATION DE L’ESCLAVAGE AU DÉTRIMENT DE L’HOMME NOIR

L’esclavage est une pratique qui remonte au temps de l’Antiquité dans
les pays d’Egypte, d’Inde, de la Grèce et de Rome. Il tirait ses origines
de la guerre, de la pauvreté, du rapt et de la piraterie. Le même sort
était réservé aux esclaves toutes origines confondues : machines à tout
faire, maltraitance (surcharge de travail, séparation des familles, sévices corporels, exploitation sexuelle, famine), le propriétaire ayant droit de vie et de mort. Le Commerce des esclaves noirs a fonctionné quant à lui, selon un processus de déshumanisation à des fins
lucratives. La plupart des propriétaires d’esclaves ont abusé de leur
autorité en exerçant un esclavage barbare et pervers. Cela concerne
aussi bien la traite interne en Afrique noire précoloniale, la traite
orientale dans le Monde Musulman, que la traite occidentale en
Europe et aux Amériques.
C’est ainsi que la traite négrière transatlantique a causé à elle seule
une déportation de plus d’une dizaine de millions de personnes de
l’Afrique vers l’Europe, les Amériques et dans l’Océan Indien. Les
navires chargés de 400 à 600 esclaves entassés pendant au moins 2
mois, perdaient au moins 12% de cette cargaison humaine. La moitié
des survivants périssaient au bout de 3 ans.
C’est au XIXème que les pays de l’Occident ont aboli l’esclavage. En
France, dès la fin du 18éme siècle, l’égalité des couleurs fut
revendiquée au nom de la dignité humaine car dans les colonies, des
catégories avaient été instaurées entre les individus : les maîtres, les
libres de couleurs et les esclaves. Puis, elles vont être remplacées par
une hiérarchie des couleurs : entre le blanc au sommet et le noir au bas
de l’échelle. On voit apparaître la caste de rouges désignant les Noirs
métissés, les sang-mélé, les nègres à peau claire dont la plupart étaient
libres avant l’abolition. Ce n’est qu’en 1848 que la France va
définitivement abolir l’esclavage.
Dans les ex-colonies françaises des Caraïbes et de l’Amérique et au
sein de la diaspora noire en France métropolitaine, on a pris
conscience des effets destructeurs du silence maintenu dans l’histoire de France concernant les tragédies de l’esclavage et de la traite négrière. Le travail incessant et la pression du tissu associatif ont brisé ce silence pou rendre hommage aux victimes de ces crimes
contre l’humanité. Les descendants d’esclaves loin de vouloir adopter
une position victimaire ont revendiqué et imposent le respect et leur
droit à la dignité humaine. Ils poursuivent la résistance des révoltés
face à l’oppression raciale, économique et citoyenne. Ils rappellent les
proclamations de Louis Delgrès : celle du 10 mai 1802 « A l’Univers
entier le dernier cri de l’innocence et du désespoir » et celle du 28 mai
de la même année « Vivre libre ou Mourir », juste avant de se faire
sauter avec ses 500 partisans sur les hauteurs de Matouba, plutôt que
se rendre aux soldats de Napoléon dirigés par le Général Richepance
venus rétablir l’esclavage en Guadeloupe. Oui Delgrès, mais aussi la
Mulâtresse Solitude, Ignace, Massoteau, et ces combattants de la
liberté inconnus dont les sacrifices ont contribués à l’élaboration de la
déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais, oui aussi à ces
résistants d’Haïti sans qui rien n’aurait été possible : Toussaint
Louverture, Sonthonax et Polverel, mais oui aussi à Aimé Césaire, la
voix de la colère et de l’universel, à Edouard Glissant le père du
« Tout-monde »,……….à Maryse Condé, liant à n’en pas douter de
l’Afrique et de la Caraïbe.
L’Afrique et ses fils d’outre-mer ont tant donné pour la France. Les
tirailleurs Sénégalais, les femmes et les hommes de la dissidence qui
ont rejoint le Général de Gaulle. Leurs descendants réclament
l’égalité, fruit de la reconnaissance. La grande marche du 23 mai 1998
à Paris, Place de la République à la Nation organisée à l’occasion du
cent-cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage par le Comité Marche du 23 mai à montrer une diaspora debout et organisée, plus de 40 000 personnes y participèrent.
Ce fut aussi le début de la lutte en faveur de la reconnaissance par la
France de l’esclavage et la traite comme crimes contre l’humanité, loi
votée le 10 mai et connu sous le nom de « loi Taubira ». Enseigner
l’histoire, faire œuvre de mémoire est un devoir contre l’oubli, une
transmission des connaissances et des sacrifices consentis
aux nouvelles générations susceptibles de faire évoluer les
mentalités……Le Prix Littéraire FETKANN !, Mémoire des Pays du
Sud, Mémoire de l’Humanité, initié par le Centre d’Information,
Formation, Recherche er Développement pour les originaires d’outremer
(CIFORDOM) est une résistance à l’oppression de ces
révisionnistes qui n’ont pas pris conscience de cette tragédie de
l’histoire que furent l’esclavage et la colonisation, et veulent nous
faire croire qu’elles nous furent bénéfiques
Un autre point important est celui de la démocratie et de l’éducation
des populations sur le continent. La question de la possibilité pour les
peuples de choisir leurs dirigeants de manière souveraine est
essentielle. Cela demande que les esprits soient formés, éclairés,
informés, pour que des citoyens libres prennent les destinées de leur
pays en main. La démocratie n’est pas un gadget. Elle est un chemin
d’émancipation qui ne résout certes pas tout, mais sans elle rien n’est
possible. La permanence de la résistance, c’est d’abord la permanence
de la lutte pour les citoyens puissent s’exprimer librement. Cessons de
rejeter sur autrui les fautes qui nous incombent. Si les pays
occidentaux influent encore autant la vie des pays africains c’est aussi
parce que trop de dirigeants préfèrent s’y assujettir plutôt que de
respecter la volonté populaire. Comment développer un pays en ayant
peur de ses habitants et en s’y maintenant au pouvoir à toute force ? en Guadeloupe, dans mon pays, un proverbe dit « kod a yanm ka maré yanm ». Ce qui signifie c’est la racine de l’igname, qui attache
l’igname. On dit aussi « Le nègre combat le nègre. » C’est un moyen
d’indiquer que ce sont les luttes fratricides qui nous bloquent et
encalminent le cours de nos existences. La démocratie politique est le
premier pas vers la démocratie sociale.
L’immigration enfin. Des moyens doivent être mis en place pour
éviter l’exode des populations en raison de la pauvreté et des dures
conditions de vie et qu’ils n’aillent rejoindre l’important volume de
d’une main-d’œuvre immigrée surexploitées dans les pays d’accueil.
A titre d’exemple, suite à sa saisine en 2007 par le Codetras, le
Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture la
Halde, Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité a dénoncé publiquement en France le 15 décembre 2008,
l’existence de travailleurs sans droits, l’absence de contrôle de
l’administration, la connivence de la préfecture, de la Direction
départementale du travail et de la FDSEA (puissant syndicat agricole).
Ces travailleurs agricoles provenaient essentiellement du Maroc et de
la Tunisie et étaient employés dans le département des Bouches-duRhône.
La Halde a réclamé la requalification de leurs contrats
précaires en contrats à durée indéterminés. Ils étaient en contrats dits
OMI c’est-à-dire Office des migrations internationales ce qui
empêchait l’application des dispositions relatives à l’emploi et à la
protection sociales ». En effet les travailleurs en contrats OMI n’ont
pas le droit à la prime de précarité, ni à la priorité de réembauche. Ils
cotisent à l’assurance chômage mais n’ont pas droit aux allocations
car au bout de 8 mois ils doivent rentrer dans leur pays sans la
certitude d’être réembauchés. Grâce à la délibération de la Halde, la
préfecture à délivré une centaine de cartes de séjour. En Espagne l’équivalent de ces contrats OMI s’appelle le « contrat d’origine ». Il s’agit en fait de saisonniers sans papiers qui assurent dans le pays
d’accueil l’hyper flexibilité de la main-d’œuvre pendant les pointes de
travail.

Où qu’il ait décidé de s’installer l’homme noir est à sa place
partout dans le Monde, au même titre que tout autre humain de
pigmentation différente. Car tout être humain a le droit d’exister
où qu’il vive à travers le monde.
Hors du continent noir, l’homme noir fait partie de ce que l’on
appelle la diaspora noire.
Le continent noir se droit de rester une terre d’accueil, une terre
natale pour sa diaspora en lui facilitant la libre circulation à
travers ses régions. Des structures d’accueils peuvent d’ailleurs
être mise en place pour faciliter les échanges avec la diaspora et
éventuellement les retours. Sinon ne soyons pas étonnés que hors
d’une Afrique noire désunie, que la diaspora africaine elle-même
ne soit sujette aux discriminations et actes à caractères racistes. Et
ceci ne peut-être à l’évidence qu’une insulte pour tout le
Continent noir.
Nous pouvons saluer des initiatives comme celles du Festival
Fesman qui contribue à rapprocher les différents « peuples
noirs ». De même que la loi sénégalaise de 2010 qui reconnaît
l’esclavage comme crime contre l’humanité, de même que cette
proposition d’accueil du Président Abdoulaye des haïtiens suite
aux catastrophes climatiques successives que subies l’île depuis
2008.

Mais résister ne suffit pas. Il nous faut exister. Pour nous même, par
nous même. Tenir notre place dans le grand concert des cultures du monde en faisant entendre notre voix, unique et multiple à la fois. C’est à dire sortir de la cage de la révolte ou l’on voudrait nous
contraindre de demeurer. Le nègre est révolte voudrait on nous faire
accroire. Et la tentation est grande de nous regarder comme d’éternels
révoltés. Le nègre est victime clame t’on ailleurs. Et il est parfois plus
commode de consentir à ce statut. Mais le nègre n’est ni révolté ni
victime. Tout simplement parce que le nègre n’existe pas. C’est une
fiction mutilante, imposée par le colon, l’esclavagiste, le tortionnaire.
Il n’existe pas d’essence nègre. Seulement une existence. La
négritude, cette reconquête de notre dignité, cette affirmation de notre
beauté, cette revendication de notre souveraineté ne dit pas autre
chose. La négritude n’est pas un point d’arrivée. Elle est début d’un
cheminement. Elle nous invite à faire valoir notre droit à l’existence.
L’existence ? C’est à dire une condition historique sur laquelle nous
avons prise, et dont nous pouvons reprendre la maitrise.
Et si nous le pouvons, nous le devons. Cette tache est ardue.
Inconfortable. Périlleuse même. Mais cette tache, c’est notre métier
d’homme. Agir pour nous même, et agir pour les autres comme pour
nous mêmes. Nous ne sommes pas d’éternelles victimes. Et si, de
notre histoire de luttes, il y a une leçon à tirer, une seule leçon, aussi
petite soit elle, c’est précisément que notre valeur est intrinsèque,
absolue, non négociable. Même bois d’ébène, même marchandise,
nous n’avons jamais cessé d’être humain. C’est l’oppresseur qui
renonce à l’humanité. Pas l’oppressé.
Aussi l’ancienne victime ne saurait tirer nulle rente de situation de son
passé. Quand s’élèvent des demandes de réparation, que nous
soutenons, il ne s’agit pas d’ajouter un nouveau troc à l’ignoble
marchandage que constitua la traite négrière. Il s’agit d’une demande d’égalité, aussi pure et limpide et inarrétable qu’un impétueux torrent qui va vers son but sans se soucier d’autre chose que de sa destination finale…
Et je repense à vous enfants de l’Afrique, des Amériques, des
Caraïbes, d’Europe et du monde entier. Africains du continent et
Africains de la diaspora mêlés : Solitude, Mandela, Fanon, Sankara,
Angela Davis, Martin Luther King, Lumumba, Aimé Césaire, et tant
d’autres résistants noirs. Je repense à vous, vous qui n’avez résisté que
pour nous inciter à exister. Alors j’existe, nous existons, nous
existons, nous existons.

Fesman_2010_résister_ne_suffit_pas