Discours de Maryse Condé lu par Marianne Mathéus

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« Comme j’aimerais être présente aujourd’hui pour partager avec vous ce chaleureux moment d’amitié et d’estime. Comme j’aimerais exprimer de vive voix ce que signifie pour moi d’être associée au Prix Littéraire FETKANN ! C’est là un honneur que j’entends partager avec tous les écrivains car la littérature est le plus puissant trait d’union entre les peuples. Pour un écrivain n’existe ni origine ni identité spécifique. J’ai souvent décrit le bonheur que j’avais quand j’étais invitée à Tokyo et que les étudiants japonais ne comprenaient ni le français ni l’anglais participaient à la construction d’un monde dont ils ne connaissaient pas jusque là certains détours.

 

Dans nos pays défigurés par la domination et par conséquent, incapables de créer leurs propres modèles culturels, la littérature n’occupe pas toujours la place qu’elle mérite.

Je me rappelle une campagne électorale que je fis avec l’UPLG dans les années 1975 quand les gens étaient surpris de me voir parmi les orateurs. Qu’avais-je à dire ? Qu’avais-je à offrir ? Bien qu’on veuille nous le faire croire la littérature n’est pas un simple objet de divertissement. Elle ne sert pas seulement à édifier des mythes agréables à l’imagination et sans commune mesure avec le réel. La littérature est d’abord et avant tout une arme. Sans jamais sacrifier la part du rêve, elle est un puissant agent de conscientisation. Elle anime et vivifie le sentiment d’appartenance, appartenance à une terre, à une culture, à une histoire. Le paradoxe est que ce sentiment d’appartenance ne signifie jamais le repliement sur soi-même, l’enfermement. Nos écrivains, les plus divers, l’ont bien compris. Aimé Césaire a déclaré que toute l’île est neuve, c’est-à-dire qu’elle tend la main au monde qui l’entoure afin de communiquer et de partager avec lui.

 

Derek Walcott, notre premier Prix Nobel est allé plus loin. A ses yeux, la mer qui circule entre les îles de la Caraïbe dessine un réseau de communication et d’échanges.

Les premiers éléments qui ont fondé notre identité, je veux dire, les vaisseaux négriers, étaient malgré eux des ponts entre l’Afrique et l’Europe. S’il est évident que cette première rencontre fut accompagnée de crimes contre l’humanité, et je salue ici la loi Taubira de 2001, il n’en demeure pas moins qu’elle mit en contact des terres qui depuis ne se sont pas séparées les unes des autres.

 

Le monde reste à construire. La terre, quoiqu’on dise, n’est pas encore ronde. Trop d’inégalités et d’injustices la déparent. Cependant cet édifice commence lentement et subtilement de se modifier. Des peuples qui se targuaient de leur supériorité et de leur avance technique savent bien aujourd’hui qu’ils ont beaucoup à apprendre de ceux qu’ils asservissaient. Les frontières volent en éclat. Les langues se pénètrent. Nous assistons un peu surpris à l’apparition d’une nouvelle humanité, rebelle à tous les diktats simplificateurs et racistes. La littérature est à l’écoute de ces changements.

C’est la grande vertu du Prix Littéraire FETKANN ! d’avoir compris cela. Il n’y a pas seulement des Africains, des Antillais, des Européens ou des Asiatiques mais des êtres humains unis dans le même effort pour édifier la cartographie d’un monde nouveau ».

 

Maryse Condé